Quand on a marqué une génération avec plusieurs tubes, avant de se mettre en pause brutalement pendant dix ans, comment faire revivre son groupe ? C'est la problématique qu'a dû affronter Louise Attaque . L'une des formations rock françaises les plus importantes de la fin des années 1990 et du début des années 2000 revient avec Anomalie , son 4e album. Successeur de À plus tard crocodile (2005), il marque la fin d'une pause démarrée en 2007. Pop dans ses arrangements et mélancolique dans ses paroles, ce disque est à l'image du trio qui en forme à présent le noyau : Gaëtan Roussel (chant, guitare), Arnaud Samuel (violon) et Robin Feix (basse). L'anomalie du rock français. Il fait un peu froid lorsque les trois membres de Louise Attaque reprennent place autour de la table, un après-midi ensoleillé de février. Arnaud Samuel a enfilé sa doudoune sans manche, et se frotte les bras pour se réchauffer. "Il y a un petit côté Michel Blanc, plaisante son camarade Gaëtan Roussel. Arnaud nous aide beaucoup à détendre l’atmosphère, à ses dépens". L'intéressé rit de bon cœur. Chez Louise Attaque, on n'est pas rancunier. "On continuait à essayer d’associer nos défauts" -- Gaëtan Roussel. Et pourtant, rien n'était gagné. Après de vives tensions, Louise Attaque s'était mis en pause en 2007. Robin s'est exilé à Brighton, en Angleterre, et avait fini par mettre sa basse de côté. " L’architecture du groupe a changé , Louise Attaque, c’est nous trois maintenant", explique Gaëtan Roussel. Le batteur originel du groupe, Alexandre Margraff, n'a pas voulu rempiler. " On est passé à un groupe à trois, sans batteur, ce qui peut être considéré comme une anomalie dans un groupe de rock , ironise Arnaud pour expliquer le titre de ce 4e disque. On avait l’impression qu’on allait vivre des accidents sur lesquels on allait rebondir. Il y avait aussi une symbolique des temps qu’on traverse en ce moment." "Je dirais qu'on est une anomalie, dans le sens où, on l’a toujours dit, on est des musicien très différents les uns des autres, alors le fait que ça coexiste...", souffle Robin. "On partait de plus loin. On continuait à essayer d’associer nos défauts. C’est ce que je préfère chez nous" , sourit Gaëtan. Se réapprivoiser. "Petit à petit, on a retrouvé notre équilibre. Il fallait se réapprivoiser", révèle le chanteur. Pour cela, Gaëtan, Arnaud et Robin ont commencé par parler, il y a 2 ans. " Il y a eu une année de discussion. On était d’accord sur une chose, c’était le projet, vers quoi on regardait : aller en studio d’abord , travailler avec quelqu’un en termes de production, de réalisation, faire évoluer l’entourage pour qu’on soit aidé autrement", se rappelle Gaëtan Roussel, qui a sorti deux albums solo à succès pendant la pause de Louise Attaque. "On s’est mis d’accord sur le changement" , résume le calme Robin. Sur le fait que si on se remettait ensemble, ce serait très différent. Il fallait qu’on soit d’accord pour toucher à tout." "Pour se bousculer. Pour que ce soit plus vivant", ajoute Gaëtan. L'alchimie retrouvée. Louise Attaque a décidé de revenir aux fondamentaux. Comme à leurs débuts, Gaëtan et Robin se sont d'abord retrouvés pour écrire, ensuite rejoints par Arnaud. Ils ont écumé plusieurs villes, à commencer par Londres, dans des lieux "pas forcément faits pour enregistrer". "On y est allé sans avoir ce que ça allait donner. On ne savait pas si ça allait devenir un album ", assure Gaëtan en agitant les épaules. "Il se passe des trucs quand Gaëtan et moi on compose, qui sont de l’ordre de l’alchimie" -- Robin Feix. " Il s’est passé à Londres quelque chose que l'on voit parfois comme un gros mot, l’alchimie , résume Robin de sa voix très basse, presque en un murmure. Il n’y aurait aucune explication plate et réelle. Il se passe des trucs quand Gaëtan et moi on compose, qui sont de l’ordre de l’alchimie. Comme dit Gaëtan, ça joue des coudes, ce n'est pas plat et paisible.". De cette session londonienne est née Du grand banditisme , qui a "donné l'impulsion" à ce nouvel album. Son refrain témoigne des hésitations du retour : "Bien sûr que l'on voudra retenir -rien-/Regoûter de l'autre les bras -tout-/Peut-être même tenter de revenir -tout-/Bien sûr que l'on voudra tout ça -rien-" " Ce titre nous a rassurés . Il nous a fait ressentir des choses qu’on voulait ressentir, et nous a permis de faire en sorte que chacun puisse raconter son histoire, explique Gaëtan. C’était aussi un peu effrayant, parce qu’on avait l’impression que ça n’avait pas bougé, ce qui n’était pas le but des discussions qu’on avait eues juste avant.". "La seule pression qu’on se met quand on se retrouve, c’est entre nous" -- Arnaud Samuel (Louise Attaque). Arnaud se souvient d'une "émulation ludique" , en référence à leur pari de faire un morceau par jour : "Ce sont des contraintes fructueuses. On n’a pas envie de décevoir l’autre. On a envie que la gageure soit tenue." " La seule pression qu’on se met quand on se retrouve, c’est entre nous , assure encore le violoniste. C’est de pouvoir être à la hauteur musicalement. C’est de surprendre, continuer à se surprendre, à développer ce qu’on veut, mais entre soi, à 3. C’était pas gagné. C’est-à-dire qu’il n’y avait rien d’évident. Il y avait des difficultés, des doutes. ". Un album pop. Petit à petit, Louise Attaque a réussi à surmonter ces obstacles. Ils ont aussi été aidés par la présence d' Oliver Som , jeune musicien, auteur et producteur britannique, à qui ils ont donné une grande liberté. "C’est le premier album de Louise Attaque à la sauce pop anglaise" , annonce Arnaud. Anomalie , le single-titre, illustre cette ambiance en s'articulant autour d'un sample électronique. "'Anomalie' est la premier album de Louise Attaque à la sauce pop anglaise" -- Arnaud Samuel. Louise Attaque, connu pour son violon très folk et sa guitare acoustique avec des titres comme J't'emmène au vent , refuse d'y voir un virage à 180 degrés, mais un résultat logique. "Si on écoute nos précédents disques, on entend une progression, estime Robin. Les albums de Poney Express (l'autre groupe de Robin, ndlr) sont pop, ton premier album aussi", adresse-t-il à Gaëtan Roussel, qui acquiesce. "Finalement, de la pop, il y en a partout, et on préfère que les gens nous réfèrent à ça plutôt qu'à une nébuleuse", défend le chanteur. La mélancolie de Louise. Il est beaucoup question de temps qui passe sur ce 4e disque. "Les textes ne sont pas arrivés tout de suite, ce qui laisse le temps de réfléchir à la forme, au fait qu’on est ensemble", explique Gaëtan. Avec le temps , 3e extrait du disque, raconte au rythme d'un violon triste la solitude d'un homme qui vieillit, et qui perd son insouciance. " Mélancoliques, je pense qu’on l’a toujours été , assume le chanteur, au visage très expressif. Dans les notes, dans les balades, même dans les moments rythmés. Nostalgiques, j’espère que non." Ils ne sont en tout cas pas nostalgiques de l'époque où ils ont vendu 3 millions d'exemplaires de leur premier disque, éponyme, sorti en 1997. " 20 ans, ça aide aussi à changer, à digérer, à muter, à vivre d’autres choses, ensemble et pas ensemble , estime Gaëtan. On était de temps en temps dans l’action, de temps en temps dans l’inertie. Parfois Louise nous manquait, parfois non. " Malgré ce recul, Gaëtan, Robin et Arnaud sont très attachés à Louise Attaque, leur "matrice". " C’est quasi notre groupe d’ado, donc c'est la colonne, la grande allée. Après, on en a pris des contre allées, des promenades", image Gaëtan. "On s’est posé la question de savoir si on allait envisager notre vie sans Louise, quand on s’est réuni. On a apporté notre réponse" , conclut Arnaud. Cette réponse se concrétisera sur les routes à partir du 27 février, durant le printemps et l'été.