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Il y a des sorties d'albums que l'on attend plus que d'autres. C'est le cas pour Écho, deuxième disque de Lescop, aka Mathieu Peudupin, sorti le 21 octobre. Après quelques années fougueuses à la tête d'Asyl, le chanteur a vogué en solo sous le nom Lescop, et a sorti un premier album, éponyme, en 2012. Le tube La Forêt n'était que la partie immergée d'un opus pop et dark, brillant comme mille feux de Bengale dans la nuit. Après plus de deux ans d'une tournée intense, en France comme à l'étranger, l'artiste aurait pu être lessivé et tomber en panne sèche. Il a eu l'intelligence de prendre le temps, pour trouver le recul nécessaire à l'inspiration.
Avec Écho, Lescop transforme l'essai et fait plonger l'auditeur dans une double quête, identitaire et amoureuse, intime, touchante et dérangeante. RTL2.fr a pris un jus de fruit avec celui qui incarne le mieux une pop française biberonnée aux guitares de Bowie, à la verve de Daniel Darc - son mentor - et à la poésie trouble d'Oscar Wilde. Pendant une heure, on a déroulé le fil d'Écho avec Lescop, qui perd souvent son regard dans le vide.
"La nuit jamais il ne dort/Dans la journée, il fait le mort/Il aime trop l'obscurité/C'est un garçon dérangé/Partout étranger". C'est avec ces mots intrigants que Lescop a fait son grand retour, via le single Dérangé, en mai dernier.
Parle-t-il de lui même ou d'un double, nommé David Palmer et ouvrant l'album Écho ? Pas que. "C’est un peu toi, un peu tout le monde, assure le chanteur en sirotant un jus d'orange pressée. On a tous un moment où on se dit ‘Je ne comprends pas mon époque’." Il ajoute une référence plutôt inattendue, en riant : "Comme dit PNL : ‘Je ne comprends pas pourquoi je ne comprends pas’, l’idée est assez profonde."
Parfois j’aime bien sortir tout seul pour me laisser aller, me perdre dans la nuit.
Lescop
Cette figure du garçon décalé, Lescop la cultive depuis toujours. Pas comme une posture, parce qu'elle fait partie de lui, même en-dehors de son travail de musicien. "Parfois, c’est agréable de se laisser aller à ses petites folies intérieures. Je ne sais pas si ça t’est déjà arrivé, parfois j’aime bien sortir tout seul pour me laisser aller, me perdre dans la nuit tout seul et voir ce qu’il se passe, peut-être faire des rencontres. Te raconter des histoires dans ta tête." Pour écrire cette chanson, aux guitares hissantes, Lescop a eu en tête le vampire campé par Tilda Swinton dans Only Lovers Left Alive, et les personnages des romans fantastiques d'Anne Rice. "Des romantiques, des gens un peu farfelus, excentriques, qui à la fois vivent avec les mortels et en même temps les observent parce qu’ils ont une qualité qui fait d’eux qu’ils sont en rupture."
Avec son teint blanc comme la neige, son regard noir et son goût pour les balades nocturnes, Lescop ne serait-il pas, lui aussi, un peu vampire ? "Je ne suis pas vampire au sens où je ne me nourris pas du sang des gens, plaisante le chanteur. Mais souvent, j’observe les choses de l’extérieur. Comme j’aime les vivre aussi. Je suis très bavard, mais j’aime aussi ne pas parler. J’aime aussi la solitude. J’aime autant l’un que l’autre."
L'ambivalence est sans doute ce qui caractérise le mieux Lescop. Faisant preuve d'une sensibilité à fleur de peau dans l'écriture, il déploie une force froide, presque dure, sur scène. "Je n'aime pas qu’un concert soit comme un écran de cinéma, que les gens s’assoient devant et attendent que ça leur tombe dans la bouche. C’est pour ça que je descends parfois dans le public", dit-il en serrant le poing. Derrière son calme apparent, on sent gronder la nervosité de ceux toujours prêts à descendre dans l'arène.
Écho, comme son premier album, met en scène des personnages dignes d'un film. Plusieurs titres (Mauvaise fille, L, Suivie) décrivent notamment des figures féminines encorselantes. "Ce sont des femmes fortes, qui font ce qu’elles veulent, elles ne sont pas soumises, insiste-t-il. C’est un truc qui m’énerve aussi chez l’homme, cette volonté de toujours soumettre." Son idéal féminin reste encore Marlene Dietrich, "parce qu’elle a ce côté très féminin et en même temps elle a une voix très grave, ce côté plus masculin. Elle crée le trouble." Le chanteur avait même écrit une chanson sur l'actrice, Marlene, en 2012, mais reconnaît que la notion de "muse" peut être "misogyne".
Les gens sexy sont des femmes avec une part de masculinité, ou des hommes avec une part de féminité
Lescop
Souvent décrit comme androgyne, Lescop rejette les clichés de genre. "Les gens sexy sont soit des femmes qui ont une part de masculinité, soit des hommes qui ont une part de féminité, estime-t-il. Ce n’est pas étonnant dans le sens, où, quelque part, l’androgynie, ça veut dire que tu peux prendre un peu de l’autre sexe, que tu as une curiosité. (...) J’aime la féminité, même chez les hommes. Les hommes virils, je trouve ça hyper ennuyeux. Le côté ‘testostérone, on a des muscles’... Un mec, c’est idiot à la base."
"J’aime bien quand les gens ont des contradictions, c’est comme cette fille qui ‘en plein été se plaint du froid’, détaille-t-il à propos de Loeiza. C’est chiant mais c’est charmant. D’agacer, de titiller, d’amuser, d’être un peu complexe."
Écho représente "un certain apaisement" pour l'artiste de 38 ans, à l'allure de punk sage. "Il est quand même plus positif. Le premier était très martial, très frontal. Pour celui-là, j’ai essayé de laisser plus de place à la douceur, quelque chose de plus sensoriel que ce côté ‘pain dans la gueule du premier coup’. C’est comme des lettres. Il y a ce côté plus organique et chaleureux." On le ressent particulièrement à l'écoute du titre éponyme, pilier central de l'album.
Toujours épaulé par son acolyte Johnny Hostile (du label Pop Noire, qui a aussi travaillé avec Izia et Savages), Lescop a imaginé un son enveloppant, cosy, low-fi et doucement lumineux. Des rappeurs comme Vince Staples ou Kendrick Lamar l'ont inspiré pour poser sa voix. Doublages, échos, voix qui se répondent : ils ont beaucoup travaillé "l’architecture vocale" du disque.
Autant de voix internes qui happent l'auditeur, du dansant David Plamer au planant C'est la nuit, "son premier morceau totalement doux et optimiste", parlant du moment où l'on tombe amoureux. "Le début de l’album, c’est plutôt le côté venimeux, quand on est presque hypnotisé par quelqu’un, presque comme si on nous avait jeté un sort. Au fur et à mesure de l’album, à partir de Loeiza, c’est plutôt le moment où on se sent bien." Lescop a d'ailleurs imaginé C'est la nuit comme le générique de fin d'un film dont il a co-écrit le scénario, et dans lequel il espère jouer l'un des deux rôles principaux. "Un polar froid, nocturne, ce que je sais faire quoi", sourit le chanteur, diplômé d'un conservatoire d'art dramatique.
"On vit dans une société où l’émotion est presque bannie, regrette Lescop, qui se décrit comme très romantique. En couple "avec la même personne depuis hyper longtemps", il évoque une "Tinderisation de la société" : "Ça peut être marrant de dire à quelqu’un ‘Allez on baise’. Si les gens s’y retrouvent, tant mieux. Mais il ne faut pas oublier que c’est bien de tomber sous le charme de quelqu’un, de se demander si on lui plaît ou pas, que ce moment d’incertitude dure. C’est cool, ça donne du vague à l’âme, des papillons dans le ventre !"
"J’ai toujours eu du vague à l’âme, poursuit Lescop. On me disait que j’étais la tête dans la Lune, un peu mélancolique. Moi j’aime bien la mélancolie, j’aime bien l’ennui, j’aime bien quand les gens me manquent."
C'est le thème du très beau morceau Quelqu'un à qui penser ("Quand tu es avec moi/J’ai quelqu’un à regarder/Quand je suis sans toi/J’ai quelqu’un à qui penser/C’est sans doute comme ça qu’on finit par s’attacher”) : "Être amoureux, c’est être bien avec et sans. C’est bien d’avoir quelqu’un à qui penser, et savoir qu’il y a quelqu’un qui pense à toi (...) Parfois tu as un flash sur quelqu’un et tu prends du plaisir à y penser tout le temps, ça remplit tout. Ça correspond à une évidence. Ça va avec la séduction, l’opportunité de tomber sous le charme de quelqu’un, et pas juste charmer, croquer, consommer, jeter."
Lescop rapproche le sentiment amoureux de l'art : "Pourquoi est-ce que c’est moins ennuyeux de faire une demi-heure de métro avec de la musique dans les oreilles ? Parce que tu vois la réalité autrement. Ça passe mieux, ça s’harmonise mieux, tu as l’impression que les lumières sont plus belles. D’où l’intérêt de l’art, ça te fait voir tout autrement. C’est comme quand tu tombes amoureux."
La vocation d’un artiste, c’est aussi de laisser une trace de son époque, et la plus belle possible.
Lescop
Pour Mathieu, pas de doute, l'artiste a un rôle crucial à jouer : "Je pense sincèrement qu’essayer de faire exister la beauté n’est pas quelque chose de vain, pas du tout. C’est hyper important." Il cite l'empreinte laissée par les plus grands, comme Mozart, Bowie, Prince, Daniel Darc, Picasso, Oscar Wilde. "La vocation d’un artiste, c’est aussi de laisser une trace de son époque, et la plus belle possible. Et inspirer les gens." Résidant en banlieue, il confie alors qu'il mène des activités associatives, à titre personnel. "Si tu sors les gamins de la cité et qu'ils voient autre chose que du béton, ça leur fait du bien. Tu le vois dans leur comportement, dans leurs résultats scolaires, dans leurs envies. (...) La beauté, elle fait du bien à la société, aux gens. Ça, c’est mon côté idéaliste."
Lescop, Écho (Pop Noire/Mercury), sortie le 21 octobre. Lescop sera à la Cigale le 18 novembre, pour le Festival des Inrocks.
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