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Dossier 15050 - La ruine de Leonard Cohen

Dans cet épisode de Rock'N Roll Justice, Fabrice Epstein nous plonge dans l'incroyable drame financier de Léonard Cohen, le poète et chanteur légendaire. Découvrez comment Cohen, à l'apogée de sa carrière, s'est retrouvé au cœur d'une affaire digne d'un polar, mêlant trahison, manipulation et pertes financières colossales.

Leonard Cohen - Rock'N Roll Justice

Crédit : RTL2

Dossier 15050 - La ruine de Leonard Cohen

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Léonard Cohen, le plus grand de tous, le plus beau de tous, a dû se baisser pour récupérer les dollars à un âge très avancé. Le saviez-vous ? Saviez-vous que le poète aux rimes chuchotées, le mince chanteur à la voix grave, l'homme du livre, s'était retrouvé mêlé à un drame financier digne d'un authentique polar ? C'est cette histoire que je vais vous raconter, celle d'un homme de lettres qui n'aimait pas les chiffres.

En 1988, Cohen sort un disque, I'm Your Man. Il est dans l'air du temps, mais chez Cohen, les synthétiseurs ont un son différent, comme si la foi entrait dans la machine. À cette même époque, il change de manager. Le sien, l'historique, le mythique impresario Marty Machat, est mort. Cohen porte son dévolu sur sa secrétaire, une certaine Kelley Lynch. Tout roule. Léonard cherche le calme. Il ralentit le rythme de ses tournées, trouve la paix auprès d'un maître zen, est ordonné moine bouddhiste en 1996, suit les enseignements à Mumbai d'un autre gourou, ancien directeur de banque. Cohen entre dans le nouveau millénaire apaisé, jeune vieillard et vieil enfant. 

En 2004, Dear Heather paraît. C'est un disque tranquille. Léonard Cohen chuchote, calme, profond, comme la mer d'Hydra et son refuge. Ce qui le tranquillise notamment, c'est que depuis 1988, sa manageuse, Kelley Lynch, veille sur lui. Gestion, finances, contrats, formalités administratives, elle a un œil sur tout et partage à l'occasion le lit du chanteur. Cohen chante ses louanges dans les magazines. "Je me suis fait avoir de nombreuses, nombreuses fois dans ma vie", dit-il. "Mais Kelley a tout remis en ordre et depuis, je gagne ma vie." 

Et ça a commencé comme ça. Un homme inconnu, amant d'une employée de Kelley Lynch, pousse la porte du magasin de la fille de Cohen à Los Angeles. Il dit alors à Lorca Cohen, "Il faut que tu alertes ton père, qu'il regarde ses comptes bancaires, vite !" Léonard, qui séjourne à Montréal, saute dans le premier avion direction Los Angeles. Il est si dépendant de sa manageuse qu'il sait à peine où se situe sa banque. Mais une fois son chemin retrouvé, la réalité est très sévère. Les comptes ont été ratissés. Lui qui croyait avoir un minima 5 millions de dollars… ne possède que 150 000 billets verts. 

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C'est une catastrophe pour ce père de famille qui croyait pouvoir couler des jours heureux les poches pleines. Cohen est ruiné. Fissa, il licencie Lynch. Pour la poursuivre, il doit hypothéquer sa maison. Les avocats coûtent cher, certes, mais il découvre le pot aux roses. Lynch vide Cohen depuis 1996. Celle-ci a vendu à Sony les droits des chansons de son patron, puis l'a introduit à un investisseur douteux, un professeur de fiscalité, Richard Westin. Ensemble, ils ont créé une société à responsabilité limitée, Traditional Holdings. Les enfants du chanteur sont savamment mis à l'écart. C'est astucieux car avec son associé véreux, Lynch réussit à capter 99% des gains. Voilà, plus de 5 millions de dollars ont été siphonnés. 

L'homme dont les mots parlent d'éternité et de rédemption n'a rien vu venir. Il perd la part la plus matérielle de son œuvre. Mais ce n'est pas tout. Chemin faisant, Cohen s'aperçoit que sa manageuse l'a déplumé de tout un tas de choses très personnelles et quasi sacrées. Ont disparu des aquarelles, des carnets entiers de chansons, le tapuscrit de Beautiful Losers, et le saint des saints, la correspondance de Cohen et Bob Dylan. Ne reste plus qu'à mettre en route la machine judiciaire. Car Lynch ne veut rien entendre.
 
Alors que l'avocat de Cohen tente une médiation, l'avide manageuse répond que les poules auront des dents avant que Cohen ne retrouve cet argent. Car pour elle, c'est son argent. Août 2005, Cohen attaque par la voie légale. Sa manageuse, elle, préfère les coups en dessous de la ceinture. Elle harcèle son ancien patron, e-mail, messages vocaux, post sur Internet, tout y passe. Puis elle se répand en calomnie. Il a un pénis minuscule. Elle l'insulte, il mérite d'être fusillé. Les mots tombent, durs, absurdes. En mai 2006, la justice donne raison à Cohen. Lynch doit lui rembourser 7 millions de dollars, mais le problème, c'est qu'elle ne les a pas. Fin 2005, elle s'est même retrouvée à la rue, vivant dans un van, traversant les routes des États-Unis. 

Où est passé l'argent ? Mystère. Mais plutôt que de se calmer, Lynch persiste et signe. Elle continue d'envoyer des e-mails à Cohen et à ses proches. Ses agressions se comptent par milliers. Cerise sur le gâteau, elle enfreint un précédent jugement qui lui interdisait d'entrer en contact avec le chanteur. Kelley Lynch est une menace physique pour Léonard. En mai 2012, les juges la condamnent à 18 mois de prison pour harcèlement. 

Mais Cohen n'a pas récupéré un sou. C'est pourquoi, en 2008, le barde canadien n'a d'autre choix que de reprendre la route des concerts. Lui qui avait juré 25 ans auparavant qu'on ne l'y reprendrait plus. Il a désormais 76 ans, plus vieux, plus sage, un peu usé mais intact dans l'âme. De mai 2008 à décembre 2010, il aligne 199 dates. Le chant de Cohen dépasse ses comptes, ses droits, ses avoirs. Sa voix, sa guitare sèche, son verbe sont le véritable héritage de l'artiste. Cohen est mort en 2016. Sa succession a pris le relais, mais Lynch n'a toujours pas remboursé l'argent. 

Finalement, la richesse est une épreuve et l'argent est comme un chien qui veut toujours changer de maître. Quand on est musicien et poète, il faut bien choisir son maître. L'erreur en cette matière coûte beaucoup trop cher. Telle est la loi du rock.

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