Father John Misty : "Ça m'amuse de foutre en l'air les attentes des gens"

"Bon, il est temps d'aller parler de mes sentiments", lance à une journaliste un grand brun longiline, caché derrière des verres fumés. Il se met ensuite à l'abri de la fraîcheur de ce dimanche 16 août, au Fort Saint-Père, non loin de Saint-Malo, où a lieu la 25e édition de la Route du Rock. Ce soir-là, Savages provoquera un éboulement sonore, quelques heures après le show presque absurde de Father John Misty, le grand brun mystérieux en question. Josh Tillman, de son vrai nom, a fêté ses 34 ans cette année, et la sortie de son huitième album solo, I Love You, Honeybear, consacré à sa femme. Le disque de la reconnaissance, enfin, pour celui qui s'est caché derrière la batterie de la respectée formation folk Fleet Foxes, de 2008 à 2012. 

Je me suis toujours senti comme quelqu'un d'isolé, même au sein de Fleet Foxes

Father John Misty

"Je me suis toujours senti comme quelqu’un d’isolé", confie le chanteur, tenant un gros bocal dans lequel trempent deux sachets de thé. "Même au sein de Fleet Foxes. Le sentiment d’isolement que l’on peut ressentir dans ce genre de situation est impressionnant." Depuis son départ du groupe, Father John Misty n'a pas caché son désarroi, racontant plusieurs anecdotes troublantes à la presse. La plus célèbre étant celle où il aurait quitté la scène au milieu d'un concert, sans que ses camarades ne le remarquent. "On pouvait passer des semaines entières sur la route sans se parler", se souvient ce bavard insatiable auprès de RTL2.fr. 

Chanter l'amour au vitriol

En solo, Josh Tillman déploie à nouveau ses ailes en se faisant appeler Father John Misty, avatar excentrique et loufoque. Avec ce surnom, impossible de ne pas penser à son enfance dans un milieu religieux et très conservateur : "Je ne parle pas vraiment à ma famille, je n’ai pas non plus un gros groupe d’amis", concède-t-il en caressant sa barbe fournie. "J’aimerais commencer ma propre famille", confie Josh Tillman d'un rire doux, toujours prompt à tourner son enfance difficile en dérision. 

L'amour et le rire, voici les deux piliers de I Love You, Honeybear, disque consacré à sa relation fusionnelle avec son épouse, la photographe et réalisatrice Emma Tillman, qui apparaît dans le clip (explicite) de Nancy From Now On. "Il fallait que j’écrive sur ce sujet, parce que c’était exaltant, terrifiant et puis j'avais cet intense sentiment de vulnérabilité", se justifie Father John Misty, avec son débit très lent et calme. "J’avais deux options : écrire de manière à protéger notre dignité, ou tout dire, ce qui revient à inclure tout le bordel autour, comme le sexe, l’angoisse, la cruauté et son aspect sentimental." Il a bien entendu choisi la deuxième option.

I Love you, Honeybear propose des chansons d'amour tout sauf sirupeuses, portées par une musique folk léchée, flirtant avec l'indie rock. Il y est question de coup de foudre, de défauts revendiqués, mais aussi, de "cendres et sperme". "Tout est foutu/Et rien ne sera épargné/Mais je t'aime, mon sucre d'orge", chante Father John Misty sur le titre éponyme de son disque. "Les paroles de Bored In The USA sont géniales, mais les rires enregistrés qu'on peut y entendre en disent bien plus sur ce que j’essaie de communiquer avec cette chanson", estime Father John Misty, qui signe la bande-originale de la comédie Ted 2.

Humour par surprise

Sur la scène de la Route du Rock, ce natif du Maryland se transforme en "entertainer" blaguant sans relâche, se jetant à terre pour appuyer les moments dramatiques de ses chansons, mais ne quittant jamais ses lunettes de soleil. Parmi la foule, quelques-uns sont circonspects. 

Vu la nature très sérieuse de ma musique, ça m’éclate de foutre en l’air les attentes des gens

Father John Misty

"Vu la nature très sérieuse de ma musique, ça m’éclate de foutre en l’air les attentes des gens", admet Father John Misty, qui s'est aussi amusé à rédiger son autobiographie de manière décalée. "Parfois, je suis dangereusement proche de me transformer en clown. Il y a une limite très ténue." Father John Misty s'en prend à la "culture américaine d'aujourd'hui qui oblige tout le monde à être drôle" : "En fait, je n’aime pas voir des musiciens que j’apprécie dans des sketchs. Ça me déprime."

Défenseur de la culture hipster

Le chanteur et compositeur s'en prend ensuite à Portlandia, série co-créée par Fred Armisen, musicien et acteur, et Carrie Brownstein, membre de Sleater-Kinney et comédienne. Ce programme diffusé sur IFC se moque de la culture hipster et est connu pour ses guest stars issues du milieu du rock, comme St. Vincent, Jack White et Josh Homme. "Je déteste Portlandia", tonne Father John Misty. "J’ai l’impression que ce mec, Fred Armisen, projette sa haine de lui-même sur ses contemporains. Ce n’est pas généreux. Il se positionne en arbitre de ce qui est permis ou pas."

Josh Tillman embraie sur la culture hipster, moquée selon lui pour de mauvaises raisons : "Les barbes, les noeuds papillon, les shorts à motifs, bien sûr que je ne pourrais pas imaginer une tenue plus stupide si vous me le demandiez, mais ce n’est pas plus stupide que tout ce qui est arrivé auparavant. Les gamins ont besoin d'avoir l'impression d'appartenir à une communauté."

Ma communauté est constituée de ma femme et moi

Father John Misty

Avec sa barbe épaisse, ses cheveux longs plaqués en arrière, ses tatouages et son vernis argenté au majeur droit, Father John Misty semble avoir toute sa place dans cette culture, et pourtant. "Ma communauté est constituée de ma femme et moi", résume le chanteur. "Pour quelqu’un comme moi, qui a tendance à être seul, je n’ai besoin que d’une seule autre personne à laquelle je peux tout dire, qui peut tout connaître de moi et me voir tel que je suis."