Les teints sont blâfards, les yeux, petits, mais le sourire, radieux. "Qu'est-ce qu'on va bien pouvoir faire de tout ça", se demande la charismatique Alison Mosshart, dans une chambre de l'hôtel des Bains, à Paris. Une tasse de café dans les mains, la chanteuse de The Kills contemple d'un œil amusé les paniers de viennoiseries qui ornent la grande table de la pièce, blanche et grise. Elle et son complice, Jamie Hince, ont dormi à peine quelques heures.
Après avoir joué dans un rodéo à Mexico City, ils ont sauté dans un avion pour la capitale française. "J'ai l'impression d'avoir un million d'années", marmonne le guitariste, provoquant le rire de la chanteuse. Leur fatigue n'entame pas leur enthousiasme. Il y a de quoi. Ash & Ice, leur 5e album, fait presque office de miracle, et ils le savent. Dans les bacs le 3 juin, il aurait pu ne jamais voir le jour. Il sort 5 ans après l'acclamé Blood Pressures.
Dans Ash & Ice, le duo américano-britannique conjuge rage de vivre et spleen qui rappelle le blues. Le premier single, Doing It To Death, symbolise cette alliance entre deux pulsions opposées, que l'on retrouve déjà dans le titre du disque, signifiant "cendres et glace". Dans ce morceau, Jamie et Alison chantent l'addiction, sur fond de guitare rageuse appelant à la danse jusqu'à l'aube : "On double la mise, nuit après nuit/Jusqu'à la mort" ("We're double sixing it, night after night/Doing it to death")
"Cette chanson parle du fait de brûler la vie par les deux bouts, explique Jamie Hince, qui en est l'auteur. Que notre instinct primaire est de nous amuser. Mais si on le fait trop, ça devient..." "Plus si drôle ni agréable", complète Alison Mosshart.
"Doing It To Death" parle du fait de brûler la vie par les deux bouts
Jamie Hince
"J’aime bien que ça devienne l’hymne des gens qui se défoncent nuit après nuit, mais aussi, des gens qui sont contre ça. Dans un sens, c’est idiot, et de l’autre, non", s'amuse Jamie Hince. Le guitariste de 47 ans et ancien époux de Kate Moss reconnaît bien volontiers avoir connu de nombreux excès : "C’est en partie autobiographique. J’ai passé un paquet d’années à faire la fête sans m’arrêter", dit-il, sous les rires d'Alison. Pour le clip, le tandem inséparable a pris quelques cours de danse, pour assurer une mini-chorégraphie. "Il nous a fallu 3 jours pour l'apprendre ! Je voulais ne me déplacer que comme ça", raconte Jamie Hince avec entrain.
Ash & Ice est fort en émotions. S'il y est question d'addiction, l'amour n'est jamais bien loin. C'est notamment le cas sur Let It Drop et Heart of A Dog, où l'on entend : "Je veux être lié par des attaches/Aussi naturellement que cela semble l'être/Je suis loyal/Mon cœur est pareil à celui d'un chien" ("I want strings attached/As natural as it feels/I’m loyal/I got the heart of a dog"). "La corrélation entre l’addiction et l’amour se retrouve souvent dans mes chansons, avance Jamie Hince. C’est fascinant que quelqu’un puisse vous subjuguer au point que vous en êtes aveuglés."
Sur Ash & Ice, les sentiments sont tout aussi exaltants qu'étouffants. En résulte une tension permanente. "Je pense que l'album est blues au sens où il est triste, estime Jamie Hince, dont la voix très rauque suggère une consommation importante de tabac. C’est l’idée de trouver le triomphe dans des choses mélancoliques. Je parle de la romance, le fait de trouver de la sensibilité dans le monde, voir de l’émotion dans les objets."
Ce jour-là, il pose et repose sans arrêt un superbe carnet noir en cuir relié, avec cette inscription en lettres d'or : "Ash & Ice". Un cadeau d'anniversaire de la part de sa complice, glisse le guitariste. "J'écris en laissant mes pensées divaguer. Je ne cherche surtout pas à écrire des paroles de chansons, c'est trop restrictif", indique Jamie Hince.
Alison Mosshart, lumineuse dans son chandail aux touches de couleur fluorescentes, ne fonctionne pas de la même manière. Sa méthode ? Les longues balades en voiture. "Beaucoup de choses me viennent à l’esprit quand je suis dans ma voiture. Le seul problème, c’est de trouver comment écrire mes idées sans avoir d’accident."
"Ash & Ice" est un album entier, avec de vraies émotions
Alison Mosshart (The Kills)
Celle qui est aussi membre de The Dead Weather ne pense pas qu'Ash & Ice soit un album triste : "C’est avant tout un album entier, avec de vraies émotions. Il y a du triomphe et je peux le sentir quand on joue les chansons sur scène. Je suis vraiment connectée à l’album quand je suis debout, à regarder le visage des gens, et voir ce que la musique me fait faire. La manière dont je me sens quand je chante apporte beaucoup de réponses." En concert à la Cigale le 3 mai, The Kills ont livré une prestation furieuse, devant un parterre de fans connaissant déjà par cœur leurs nouveaux titres.
Pour The Kills, tout a commencé il y a 15 ans. "Le 14 février 2002, c'était notre premier concert", rappelle Jamie Hince, en montrant le tatouage de cette date décisive sur sa main gauche. Lui et Alison Mosshart forment l'un des tandems les plus importants de la scène rock actuelle, et leur complicité est toujours aussi forte. "Notre lien s’est renforcé. Parfois quand j’y pense, ça me fait sourire, avoue Jamie Hince. La dernière fois, je me disais que tu étais un peu comme ma soeur, mais en même temps c’est différent, parce que je n’ai jamais traîné avec ma soeur. Elle est comme la moitié de moi."
Leur lien a d'ailleurs été mis à rude épreuve ces 3 dernières années. Après un accident, Jamie Hince a perdu l'usage de son majeur gauche, et a subi plusieurs opérations délicates de la main. Après une longue convalescence, il a dû réapprendre à jouer de la guitare, ce qu'il assure s'être fait "principalement à l'instinct".
L’idée que l’on puisse ne jamais retourner sur scène, c’était beaucoup trop pour moi
Alison Mosshart (The Kills)
"C'était effrayant et le processus était très long, se souvient Alison Mosshart. À l’époque, j’essayais de me dire que Jamie n’allait pas arrêter de jouer, parce qu’il avait très peur de ça. D’instinct, mon travail a été de lui dire ‘Bien sûr qu’on jouera à nouveau.’ Mais je me souviens que la première fois où je l’ai vu prendre sa guitare, après un an et demi de chirurgie, j’ai pleuré. Je n’arrivais pas à croire qu’il puisse jouer. J’avais vraiment très peur aussi. L’idée que l’on puisse ne jamais retourner sur scène, c’était beaucoup trop pour moi. Je ne pensais pas que ça puisse arriver. C’était un moment plein d’émotion."
Jamie Hince dit jouer "différemment" depuis ses opérations : "Il y a encore certaines clés que je n’aime pas jouer, comme les C majeurs. J’ai fait un concert avec Jack White où il m’avait proposé de le rejoindre. Je priais intérieurement pour qu’il ne me demande pas de jouer un C. Et merde, il a bien sûr demandé ça !"
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